samedi 16 juin 2012

le sport et la Pologne : un miroir, un révélateur, un prisme.


«L'UEFA feint de découvrir le racisme en Pologne»

Libération, 15 juin 2012
INTERVIEW Jean-Luc Sochacki, universitaire, spécialiste du football polonais, revient sur un problème très prégnant dans le pays coorganisateur et que l'Euro met cruellement en lumière.
Par ARNAUD DI STASIO

Comme redouté avant le début de la compétition, les incidents racistes et violents polluent l’Euro 2012. Après seulement une semaine, le bilan en Pologne est déjà lourd. Affrontements à Varsovie entre hooligans polonais et russes, cris de singe lors de l’entraînement des Pays-Bas à Cracovie et contre le défenseur tchèque d’origine éthiopienne Theodor Gebre Selassie à Wroclaw,… Et jeudi soir à Poznan, c’est l’attaquant italien Mario Balotelli qui a reçu des bananes à sa sortie du terrain. Jean-Luc Sochacki, docteur en sciences humaines et sociales de l’Université de Caen et spécialiste de l’immigration, du multi-culturalisme et du football polonais, auteur du blog Fucking Polak sur SoFoot.com, livre son éclairage sur la situation avant Pologne-République tchèque (samedi 20h45).
Comme redouté avant le début de la compétition, les incidents racistes et violents polluent l’Euro 2012. Quel est l'état du hooliganisme en Pologne ?
Le hooliganisme est toujours trop présent en Pologne où les stades ne sont pas encore sécurisés et les familles ne peuvent pas les fréquenter. Avec l’Euro, de nouvelles enceintes ont été construites depuis un an mais on n’en ressent pas encore les résultats. Il y a toujours de gros problèmes. L'épisode de la finale de la Coupe de Pologne le montre encore. Le match devait se jouer dans le nouveau Stade national de Varsovie, qui accueille l’Euro, mais il a finalement été délocalisé pour des raisons de sécurité. La finale de l’année dernière opposait les deux mêmes équipes, le Legia Varsovie et le Lech Poznan, et s'était terminé par de violents affrontements. Les autorités ont redouté que de tels incidents se reproduisent et ont délocalisé le match à Kielce. A un mois de l’Euro, ça n’aurait pas été terrible !
Comment agissent les autorités polonaises ?
Les autorités ont surtout agi pour se donner bonne conscience, avec des renforts de police, ou en esquivant le problème, comme en délocalisant la finale de la Coupe. Il y a tout de même eu un réel investissement au niveau des infrastructures, même dans les villes qui n’accueillent pas l’Euro. A Cracovie, où il y a un derby très dangereux par exemple, les deux stades ont été modernisés et sécurisés avec des portiques, un projet de fichage et des caméras de surveillance. Si la situation a été apaisée, cela reste assez superficiel par rapport à l'étendue du chantier. En ce qui concerne les matches du championnat polonais, il ne faut pas se leurrer, la sécurité n’y est pas encore maximale. L'été dernier, je devais aller voir un match du Polonia Varsovie. J’y suis allé deux heures en avance pour prendre la température. En voyant les supporters s’alcooliser et les centaines de policiers présents, j’ai finalement renoncé. Depuis un an, les autorités ont vraiment veillé à réduire le nombre de bagarres mais le racisme dans les stades est toujours un problème latent.
 Les supporteurs polonais sont-ils particulèrement racistes?
Les comportements racistes sont présents depuis des années, on l’a encore vu récemment avec Perquis et Obraniak [naturalisés Polonais, les deux joueurs avaient été traités de «déchets français n’ayant pas réussi dans leur pays» par Jan Tomaszewski, politicien et ex-international polonais, ndlr]. A l’Euro 2008, des banderoles «Roger Guerrero, tu ne seras jamais Polonais» étaient adressées au joueur d’origine brésilienne. A Gdansk, les supporters poussent des cris de singe contre un joueur de leur propre équipe, le Burkinabé Abdou Traoré. Cette année, il y a aussi eu pas mal de problèmes au Wisla Cracovie avec deux joueurs israéliens, Maor Melikson et Dudu Biton. L’UEFA aurait dû se pencher sur ce problème dès la décision d’attribuer l’organisation de l’Euro à la Pologne. C’est faussement naïf et problématique de feindre de découvrir le problème du racisme aujourd’hui. L’UEFA et les autorités polonaises ont mené une politique de cache-misère sur cette question. Ils pensaient que des enceintes modernisées et sécurisées et des renforts policiers suffiraient à camoufler ces questions. Ce que l’on voit depuis une semaine nous prouve que c’est raté.

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