Les 10 révolutions qui
vont changer notre vie
Le Figaro magazine, publié le
08/02/2013, par C. Doré
La nouvelle a fait le tour de la
planète. Mais qui s'en souvient? C'était le 20 mai 2010. Craig Venter,
scientifique américain iconoclaste, annonçait une nouvelle incroyable dans la
revue de référence Science. Il venait de créer la première cellule synthétique.
La Terre abritait dorénavant un organisme vivant d'un genre nouveau, créé par
l'homme et non issu de l'évolution des espèces.
A l'instar de Craig Venter,
scientifiques et ingénieurs s'appliquent très sérieusement à changer le monde
en fabriquant de nouveaux aliments ou des cœurs bioélectroniques, des avions
pour visiter l'espace et des maisons sous-marines, des vitres produisant de
l'électricité ou des robots domestiques.
On croit voguer en pleine
science-fiction, mais ces innovations en devenir n'ont rien d'élucubrations
d'hurluberlus échappés de l'asile. Beaucoup d'entre elles vont indéniablement
chambouler notre quotidien, améliorer notre santé, étoffer la gamme de nos
loisirs et modifier notre façon de travailler.
Une découverte fondamentale,
celle du Pr Shinya Yamanaka, qui a reçu le prix Nobel de médecine en 2012,
aura, par exemple, des répercussions considérables dans les prochaines années:
d'une cellule adulte différenciée - une cellule de peau par exemple -, le Pr
Yamanaka a fait une cellule souche, similaire à celles que l'on trouve au stade
embryonnaire. Non seulement il n'est plus nécessaire de travailler sur des
embryons humains, ce qui posait des problèmes d'éthique, mais sa découverte
ouvre la porte à toutes les «reprogrammations» de cellule possibles.
Il en va de même des
nanotechnologies, c'est-à-dire de toutes les technologies qui développent des
propriétés spécifiques à l'échelle du nanomètre. Elles vont permettre
d'étranges miracles: construire, améliorer ou réparer quasiment tout, d'un
vêtement à un immeuble et même au corps humain. Des milliards d'euros sont injectés
dans les nanotechnologies développées aujourd'hui aussi bien en biologie, en
chimie, en optique qu'en électronique. C'est du sérieux donc. Concrètement,
qu'est-ce que cela va changer? L'émergence de nouveaux objets, de nouvelles
énergies, de nouveaux modes de production… Demain, nos vêtements seront
capables d'analyser notre état physique (qualité musculaire, fièvre…) ou de
produire de l'électricité avec la chaleur du corps grâce à des nanotubes de
carbone.
Et tout cela va très vite.
Récompensés en 2010 par un prix Nobel de physique, les inventeurs du graphène,
surnommé le «matériau miracle», voient déjà des applications concrètes à leur
découverte, comme des écrans souples hyper résistants. Selon le prix Nobel
français Albert Fert, le graphène va imposer une révolution dans
l'informatique. Allié à la spintronique, il ouvre la voie à des ordinateurs
quantiques surpuissants de la taille d'une puce. Cette mutation est déjà en
marche, elle aussi. Elle concernera tous les outils nés de la révolution
informatique, ordinateurs, smartphones ou tablettes qui ont conquis notre
quotidien... En moins d'une génération.
1 - MÉDECINE: la bio-révolution
Fin d'Alzheimer, «biorobot»
contre le cancer, sang artificiel… La nouvelle médecine repousse les limites.
D'ici à quelques années, nous connaîtrons beaucoup mieux notre génome. Certains
tests existent déjà. Ils permettent de détecter les prédispositions à certaines
maladies. Mais on ira plus loin. Un dépistage génétique et régulier des cancers
se fera par simple prise de sang. Des expérimentations réussies ont déjà eu
lieu en laboratoire. Des plates-formes portables vont permettre à chacun
d'entre nous de diagnostiquer une quinzaine de pathologies (diabète, pneumonie,
déficit en calcium, apnée du sommeil, etc.).
La connaissance des fragilités
génétiques des patients va permettre non seulement d'anticiper les risques de
maladies, mais aussi d'intervenir pour corriger ou remplacer ce qui ne
fonctionne pas ou serait susceptible de ne plus fonctionner dans chacun de nos
organismes. Et on ne parle pas ici de médecine fiction: des scientifiques
savent déjà fabriquer de la peau à partir de cellules modifiées. Le Pr Wayne
Morrison, de Melbourne, a reconstruit un muscle cardiaque avec des cellules
souches embryonnaires. Le Pr Douay, à Paris, s'applique à fabriquer du sang
artificiel, et une équipe américaine a redonné la vue à une souris aveugle,
grâce à une rétine artificielle qu'elle espère tester prochainement sur
l'homme. D'autres équipes réalisent des essais cliniques à partir de cellules
souches pour traiter des maladies orphelines, des lésions de la moelle épinière
ou des pathologies cardio-vasculaires. Mais les difficultés techniques ne sont
pas à minimiser: elles peuvent ajouter parfois cinq à dix ans d'attente avant
d'espérer une application généralisée.
«Pour la santé et la lutte contre le
vieillissement, les enjeux sont pleins d'espérance», se félicite le futurologue
Joël de Rosnay. Cette nouvelle médecine
aura des conséquences sociales, économiques et politiques bien plus
vertigineuses que l'éventualité de repousser ou pas le départ à la retraite de
quelques années. Sans parler d'immortalité, la longévité va continuer à
s'accroître. C'est ce qu'il va falloir apprendre à gérer.
2 - TRANSPORT: prochain arrêt,
l'espace
Par les hublots posés sur le toit
du jet, les quatre passagers admirent le ciel. L'avion spatial de la société
française Astrium a atteint l'altitude de douze kilomètres en une demi-heure.
Confortablement installés dans les sièges-coques fixés à un système pendulaire
et imaginés par le concepteur australien Marc Newson, ces voyageurs d'un
nouveau genre vérifient une dernière fois leur casque. Dans quelques secondes,
les deux moteurs à réaction du jet de 20 tonnes vont s'effacer devant le
puissant moteur-fusée inspiré de la technologie Vulcain, le moteur d'Ariane 5.
Subitement, l'avion se cabre. Commencent 90 secondes d'ascension verticale à
3000 km/h. La poussée est vertigineuse mais parfaitement supportable pour une
personne en bonne santé. Les passagers prennent alors conscience du caractère
exceptionnel du voyage qu'ils viennent d'entreprendre.
A soixante kilomètres à la
verticale de la Terre, le moteur-fusée s'arrête. Le Jet Astrium glisse alors
jusqu'à cent kilomètres d'altitude en profitant de sa poussée. Les passagers
respirent, se détachent, testent leur aptitude à se déplacer en apesanteur,
comme à l'entraînement. A travers la quinzaine de hublots qui percent le
fuselage de l'avion spatial, le spectacle est sublime: la planète bleue glisse
lentement pour leur dévoiler toute la diversité de ses océans et de ses
continents. Un spectacle d'une poignée de minutes qui les marquera pour le
reste de leur vie. Moyennant 200 000 euros pour chacun d'entre eux, tout de
même.
L'avion de l'espace d'Astrium,
filiale d'EADS, n'est pas le seul avion spatial en chantier aujourd'hui.. Ces
projets, petits-enfants de la navette spatiale américaine, préfigurent deux
évolutions majeures qui vont s'imposer dans les prochaines décennies. D'abord
l'émergence d'un tourisme spatial, dont les premiers vols grand public sont
attendus très prochainement (fin 2013-2014). Ensuite, dans une dizaine d'années
minimum, la création de lignes commerciales ultrarapides entre quelques grandes
cités de la planète, grâce à des vols suborbitaux filant à plus de 4 000 km/h.
Ils mettront New York à une heure de Paris, Tokyo à deux heures... Dans ces
«super Concorde», le prix des places sera aussi dans l'esprit du style de
transport: astronomique!
3 - ÉNERGIE: le solaire brille
toujours
En copiant la photosynthèse, des
nouvelles cellules solaires vont produire de l'électricité sans ensoleillement
direct.
Quand il réfléchit en se frottant
le crâne, il a l'allure d'un adolescent. En janvier dernier, devant un parterre
de 200 chercheurs réunis au sommet mondial des jeunes scientifiques de
Singapour, Michael Grätzel était pourtant parfaitement crédible. Directeur du
laboratoire de photonique à l'Ecole polytechnique de Lausanne, ce spécialiste
de l'énergie solaire a reçu il y a deux ans le Millenium Technology Prize, un
prix prestigieux remis à des inventeurs qui reçoivent au passage 800.000 euros
pour poursuivre leurs travaux. Michael Grätzel a été récompensé pour une
cellule solaire qui a l'avantage de produire de l'énergie grâce à un colorant
naturel, en s'inspirant des propriétés de la photosynthèse. Elle coûte deux
fois moins cher qu'une cellule photovoltaïque au silicium classique, s'intègre
à des supports souples, peut être colorée et produit de l'énergie même sans
ensoleillement direct. Autant dire que cette innovation donne un sérieux coup
de vieux aux panneaux photovoltaïques compliqués à fabriquer, à installer, à
recycler…
Michael Grätzel n'est pas un doux rêveur. «La
tâche la plus dure, c'est de développer des méthodes de production rentables»,
reconnaît le chercheur. Il a fallu douze ans pour faire de la «cellule Grätzel»
un produit commercialisable! Mais l'énergie solaire, intarissable, reste une
grande espérance des scientifiques.
A l'image de la cellule Grätzel,
toute une génération de cellules photo-organiques est en train de naître.
Récemment, une équipe de l'université de Californie a proposé des cellules
biomimétiques (s'inspirant de phénomènes naturels) totalement transparentes.
Leur taux de conversion de la lumière en électricité est encore faible, mais
l'argument des chercheurs se tient: posées sur des vitres de maisons, de
voitures et de trains, d'ordinateurs ou de téléphones portables, ces cellules
vont répondre à nos usages quotidiens. Elles absorberont d'abord 10 % de notre
consommation courante puis de plus en plus au fur et mesure de leur
perfectionnement. Cette révolution discrète devrait nous emmener, dans trente
ans et si on s'en donne les moyens, à une couverture quasi globale de nos
besoins domestiques en électricité. C'est en tout cas ce que concluait Michael
Grätzel, à Singapour, en janvier dernier, avant d'être applaudi longuement par
les jeunes chercheurs qui l'écoutaient… Manifestement convaincus.