samedi 7 juillet 2012

les métamorphoses du sport spectacle, 4


doc. 2 

OM-PSG, le symbole d'une dérive télévisuelle
LEMONDE.FR | 27.11.11 

Le Monde.fr : A quoi pourra-t-on remarquer le style Canal+ lors de la retransmission d'OM-PSG ce soir ?

Jacques Blociszewski : Canal+ montre de plus en plus le football comme un sport individuel. Avec les stars présentes ce soir, cela devrait être remarquable. Par exemple, samedi, le reportage du jour au sujet d'OM-PSG, était le duel entre Diarra et Pastore. Pendant le match, cela s'évalue en nombre de zooms sur les visages, de caméras isolées sur les joueurs seuls balle au pied, moins de plans larges et un nombre de ralentis impressionnant : autour de 130 par retransmissions avec Laurent Lachand à la réalisation. Dans les années 80, le chiffre se situait autour de 30. La dimension collective du football est en train de disparaître à la télévision.

Quel rôle a joué Canal + dans l'évolution des retransmissions de football depuis quelques décennies ?

Ils ont participé à une dérive. Autrefois innovante grâce à un arsenal technique permettant de ne rien rater, aujourd'hui la technologie handicape les retransmissions. On passe son temps à revenir en arrière pendant un match "grâce" au révélateur du hors-jeu ou aux ralentis à la loupe qui n'ont plus grand chose à voir avec la réalité du terrain. Plus un match est haché, moins on le comprend. On ne voit plus le jeu sans ballon notamment. Quand un joueur fait une remise en touche, alors qu'autour de lui ses coéquipiers essayent de se démarquer, le mode dominant est de filmer son visage cherchant un joueur : c'est inutile !

La technologie encourage-t-elle les polémiques sur l'arbitrage ?

Plus il y a de ralentis, plus les commentateurs sont occupés à rejuger les décisions de l'arbitre, plus la place des polémiques arbitrales dans le traitement journalistique d'un match prend de l'ampleur. Quand bien même la télévision ne détient pas la vérité sur les "erreurs" d'arbitrage. On est entré dans un système, plus seulement de spectacle, mais de vérification. Didier Deschamps en vient à devoir masquer sa bouche quand il parle avec son adjoint...

Le match OM-PSG est-il un bon exemple de cette évolution ?

Canal+, pour qui c'est un événement important dans sa grille, est obligé de donner des informations nouvelles, d'entretenir un buzz médiatique autour du match et in fine de créer de la nouveauté. La télévision reflète les polémiques quand elles existent ou les amplifient le cas échéant, où le ressort du people est devenu essentiel. Ainsi a-t-on vu ce qu'on appelle désormais des "clashs" largement mis en avant cette semaine, d'un côté entre Bodmer et Néné, de l'autre entre Deschamps et Gignac. L'événement OM-PSG est un bon exemple du fonctionnement global des médias. Un événement qui l'est de moins en moins depuis quelques années, depuis que les clubs ne sont plus aussi hauts au classement, que les présidents prennent moins de place, que les joueurs passent d'un club à l'autre...

Cela me fait penser aux "pseudo-événéments" de Daniel Boorstin où la reproduction et la simulation d'un événement est perçue comme "plus réelle" que l'événement lui-même. Le match OM-PSG existe bel et bien, mais c'est son environnement, ce qui dure pendant les semaines préalables et suivantes, qui devient important. Le match en lui-même est noyé dans le calendrier, maintenant qu'on est submergé de football télévisé. Il faut donc entretenir l'envie du téléspectateur.

D'autant plus avec les sommes mises en jeu depuis quelques années....

Avec les contrats d'exclusivité, Canal+ achète cher une compétition, il faut pouvoir y trouver financièrement son compte. C'est normal. Mais on peut s'interroger sur les différentes façons de rentabiliser un produit. Qu'on y accolle le terme " clasico" par exemple est plutôt amusant, qu'on fasse six émissions spéciales OM-PSG depuis mercredi, est un peu plus lassant.

Canal+ est devenu la mémoire du football, si l'on se souvient d'un OM-PSG en particulier, c'est par la façon qu'a la chaîne de l'avoir retransmis à l'époque, n'est-ce pas ?

On voit le football à travers la télévision aujourd'hui. Bien sûr, un certain nombre de gens vont au stade, mais la part se réduit. Pour indication, pour la Coupe du monde en Allemagne, pour 1 personne au stade, il y avaient 17 000 téléspectateurs. 

A l'étranger, retrouve-t-on ces mêmes modes opératoires ?

En Italie surtout, avec la " moviola ", une manière de décortiquer les décisions arbitrales, autrefois sur la Raï, aujourd'hui présente dans l'émission "Le procès de Biscardi". En Angleterre et en Allemagne, la sobriété est de rigueur. D'ailleurs, les matchs sont parfois commentés par une seule personne, là où la France accumule les consultants, par peur du silence. 

Propos recueillis par Antoine Mairé

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