La Fontaine, "Les
Souhaits", Livre VII, fable 6
Il est
au Mogol des Follets
Qui font office
de Valets,
Tiennent la maison
propre, ont soin de l'équipage,
Et
quelquefois du jardinage.
Si vous
touchez à leur ouvrage,
Vous gâtez tout. Un
d'eux près du Gange autrefois
Cultivait le jardin
d'un assez bon Bourgeois.
Il travaillait sans
bruit, avait beaucoup d'adresse,
Aimait
le maître et la maîtresse,
Et le jardin
surtout. Dieu sait si les Zéphirs
Peuple ami du Démon
l'assistaient dans sa tâche !
Le follet de sa part travaillant sans relâche
Comblait ses hôtes de plaisirs.
Pour plus de marques
de son zèle
Chez ces gens pour
toujours il se fût arrêté,
Nonobstant la légèreté
A ses
pareils si naturelle ;
Mais
ses confrères les Esprits
Firent tant que le
chef de cette république,
Par
caprice ou par politique,
Le
changea bientôt de logis.
Ordre lui vient
d'aller au fond de la Norvège
Prendre
le soin d'une maison
En tout
temps couverte de neige ;
Et d'Indou qu'il
était on vous le fait Lapon.
Avant que de partir
l'esprit dit à ses hôtes :
On
m'oblige de vous quitter :
Je ne
sais pas pour quelles fautes ;
Mais enfin il le
faut, je ne puis arrêter
Qu'un temps fort
court, un mois, peut-être une semaine.
Employez-la ; formez
trois souhaits, car je puis
Rendre
trois souhaits accomplis ;
Trois sans plus.
Souhaiter, ce n'est pas une peine
Etrange
et nouvelle aux humains.
Ceux-ci pour premier
voeu demandent l'abondance ;
Et
l'abondance, à pleines mains,
Verse
en leurs coffres la finance,
En leurs greniers le
blé, dans leurs caves les vins ;
Tout en crève.
Comment ranger cette chevance ?
Quels registres,
quels soins, quel temps il leur fallut !
Tous deux sont
empêchés si jamais on le fut.
Les
voleurs contre eux complotèrent ;
Les
grands Seigneurs leur empruntèrent ;
Le Prince les taxa.
Voilà les pauvres gens
Malheureux
par trop de fortune.
Otez-nous de ces
biens l'affluence importune,
Dirent-ils l'un et
l'autre ; heureux les indigents !
La pauvreté vaut
mieux qu'une telle richesse.
Retirez-vous,
trésors, fuyez ; et toi Déesse,
Mère du bon esprit,
compagne du repos,
O médiocrité (7),
reviens vite. A ces mots
La médiocrité
revient ; on lui fait place ;
Avec
elle ils rentrent en grâce,
Au bout de deux
souhaits étant aussi chanceux
Qu'ils
étaient, et que sont tous ceux
Qui souhaitent
toujours et perdent en chimères
Le temps qu'ils
feraient mieux de mettre à leurs affaires.
Le
Follet en rit avec eux.
Pour
profiter de sa largesse,
Quand il voulut
partir et qu'il fut sur le point,
Ils
demandèrent la sagesse ;
C'est un
trésor qui n'embarrasse point.
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