18 janvier 2013
Les règles de la panique morale technologique
La lecture de la semaine provient
du magazine américain Wired (@wired) et de son chroniqueur Clive Thomson (@pomeranian99).
Son titre, "les règles de la panique".
"Quiconque s'intéresse à
l'actualité le sait, commence Thompson, il y a souvent un effet collatéral aux
nouvelles technologies : la panique morale. Facebook engendre le narcissisme !
Ecrire des textos nous rend analphabètes. Ce qui est drôle, c'est que d'autres
technologies ne provoquent rien de cet ordre. Prenez Square, par exemple, qui
permet à chacun de payer par carte de crédit... Il est en train de devenir un
outil mainstream, bouleverse le fonctionnement du petit commerce et la manière
dont des amis partagent une addition dans un bar, mais ne provoque pas grand
discours. Quelle différence ? Pourquoi certaines technologies nous font-elles
peur et pourquoi d'autres provoquent-elles l'indifférence ?
Genevieve Bell (Wikipédia) pense
avoir la réponse. Elle est directrice de recherche chez Intel et étudie depuis
longtemps la manière dont les gens intègrent les nouvelles technologies dans
leur vie quotidienne. Dans un entretien donné en 2011 au blog techno du Wall
Street Journal, elle a proposé une théorie intéressante. Pour provoquer une
panique morale, une technologie doit obéir à trois règles.
1. Elle doit changer notre
rapport au temps.
2. Elle doit changer notre
rapport à l'espace.
3. Elle doit changer notre
relation aux autres.
Prises une à une, ces
transformations peuvent être inquiétantes, mais
si les trois sont réunies, c'est la
panique !
"Combien de fois avons-nous
entendu dire que c'était la fin de petite ville américaine, que c'était la fin
de la famille, que la jeunesse
d'aujourd'hui avait changé
?" demande Bell. Le cycle est très long. Et il a
sans doute débuté il y a environ 2 500 ans, quand le monde de l'écrit a
commencé à décrocher la connaissance de l'espace et du temps et a offert d'autres possibilités
pour les gens de s'adresser les uns aux autres. Cela satisfaisait aux trois règles précédemment citées et
paniqua donc Socrate, qui s'inquiéta de ce que l'écrit allait détruire la
mémoire et l'art de l'argumentation. Mais Socrate n'avait rien vu. Car
les 100 années qui viennent de s'écouler ont été un flux presque continu
d'innovations et de moments de panique. Prenez le téléphone, qui nous a soudain
permis de joindre presque tout le monde, partout, à n'importe quel moment.
Comme une annonce aux peurs déclenchées par les médias sociaux d'aujourd'hui,
des experts ont prédit à l'époque que le téléphone tuerait la communication en
face à face. Mark Twain se moquait de la prétendue frivolité des conversations
téléphoniques entre femmes (à propos des femmes, précise Thompson , Genevieve
Bell explique qu'on peut-être sûr qu'une panique morale va se déclencher quand
les critiques commencent à s'inquiéter de l'impact d'une technologie sur les
femmes et la fragile jeunesse).
Mais les technologies qui
n'affectaient pas ces trois choses n'ont guère déclenché de protestation. Le
fax par exemple. Il a affecté l'espace et le temps, mais pas les relations
sociales. Et je pense, dit Thompson , qu'il a va de même pour Square. Cela dit, ajoute Thompson, cela
ne revient pas à dire que les paniques sont toujours injustifiées. Des réseaux
sociaux centralisés sont un vrai problème en termes de vie privée ; la
cyberprédation, même rare, existe. Mais le vrai problème de ceux qui répandent
la panique est leur conviction que toute ère technologique révolue était l'âge
d'or de la civilité et de la contemplation. Or, c'est faux. Et de façon très
marrante, beaucoup aujourd'hui chantent les louanges d'outils qu'ils
dénonçaient naguère - comme cette plainte contemporaine que l'internet tue
cette interaction tellement pleine d'émotion qu'était le coup de téléphone.
Voici la part utile de tout ça :
on peut se servir des lois de Bell pour déduire quels outils vont provoquer
l'angoisse. Par exemple, dit Thompson, je fais l'hypothèse que la
géolocalisation, la lecture sociale et l'Internet des objets - des objets qui
vont interagir avec nous et entre eux -, provoqueront tous des effets de
panique. Ils affectent notre rapport au temps, à l'espace et à autrui. Ils
arrivent même à me stresser un peu, quand j'imagine comment gouvernement et
entreprise pourraient en abuser. Mais je me calme en étant convaincu que, comme toutes les Cassandre du
passé, j'ai tort de paniquer."
Xavier de la Porte
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