Nous ne serons plus jamais déconnectés…
Par Hubert
Guillaud le 04/09/12
Jenna Wortham (@jennydeluxe)
pour le New York Times a commis un
de ces papiers faciles sur les vertus de la déconnexion à
l’heure d’un monde toujours plus connecté. Alors qu’elle se
rendait à la piscine, elle a été invitée à déposer son
téléphone et a pu profiter pleinement de sa journée, sans avoir à
consulter avec anxiété ses comptes Facebook et Twitter pour
regarder ce que ses amis faisaient. La peur de manquer quelque chose
(Fomo, pour Fear of Missing Out) que
décrivait Caterina Fake, cofondatrice de Flickr, s’évaporait
quelques instants. Notre connexion permanente aux médias sociaux
nous rend plus attentifs à ce que l’on rate et vous donne le faux
sentiment de participer à ce que font les autres par leur
intermédiaire, estime Caterina. Mais ce n’est pas une peur, c’est
un plaisir, lui
répondait l’entrepreneur Anil Dash en évoquant la joie de
manquer quelque chose (Jomo pour Joy of Missing Out).
Si beaucoup de gens se retrouvent dans le
besoin d’être déconnecté de leurs appareils pour mieux se
concentrer sur l’instant présent, nombre d’entre eux décrivent
aussi la difficulté qu’ils éprouvent à résister à l’appel
des médias sociaux, explique
encore Jenna Wortham. Pas tous. Nathan
Jurgenson (@nathanjurgenson),
étudiant en sociologie à l’université du Maryland dénonce sur
The New Inquiry le
fétichisme
IRL.
“L’infiltration en profondeur de l’information
numérique dans nos vies a créé une ferveur autour de la supposée
perte de déconnexion correspondante de la vie réelle. Chaque
moment est sursaturé de potentiel numérique (…). Les pensées,
les idées, les lieux, les photos, les identités, les amitiés, les
souvenirs, la politique et quasiment tout le reste ont trouvé son
chemin vers les médias sociaux. La puissance du social ne repose
pas seulement sur le temps que nous passons sur nos applications, ni
sur les données que les médias à but lucratif collectent, mais
sur la logique que ces sites creusent profondément dans nos
consciences. Les téléphones et les médias sociaux symbiotiques
nous donnent un surplus d’options pour dire la vérité sur ce que
nous sommes et ce que nous faisons et une audience pour tout cela
(…). Twitter est nos lèvres et Instagram nos yeux. Les médias
sociaux font partie de nous-mêmes et le code source de Facebook
devient notre propre code.”
“Comme on pouvait s’y attendre, cette intrusion
a créé un choc en retour. Les critiques se plaignent que les gens,
notamment les plus jeunes, sont sans cesse en train de se connecter
et de se consulter. (…) Au lieu d’être présents à la table du
dîner, ils sont perdus dans leurs téléphones. Auteurs après
auteurs, tous se lamentent de la perte du sentiment de déconnexion,
de l’ennui, de la paix sensorielle à l’âge de la connexion
permanente à l’information, des écrans lumineux omniprésents et
de l’autodocumentation quasi constante.”
Pour Nathan Jurgenson, nous sommes devenus obsédés
par la déconnexion. “Nous n’avons jamais apprécié une
promenade solitaire, un voyage en camping, une conversation en face
à face avec nos amis ou notre ennui mieux que nous ne le faisons
maintenant. Rien n’a plus contribué a notre appréciation
collective de la déconnexion que les technologies de la connexion.
La facilité de la distraction numérique nous a fait apprécier la
solitude avec une nouvelle intensité. Nous savourons beaucoup plus
le face à face avec un groupe d’amis ou en famille dans un moment
et un temps donné grâce à la sociabilité numérique qui
réarrangent d’une manière si fluide les règles du temps et de
l’espace. Nous n’avons jamais autant chéri la solitude, la
valeur de l’introspection et la déconnexion à l’information
que nous ne le faisons maintenant. (…) L’obsession actuelle pour
l’analogique, le vintage, le rétro a tout a voir avec cette
fétichisation de la déconnexion.”
“Notre immense autosatisfaction pour la déconnexion est nouvelle. Comme nous sommes fiers de nous-mêmes de lutter contre l’étendue qu’ont pris les technologies mobiles et sociales. Notre nouvel hobby est de nous taper dans le dos pour montrer que nous pouvons nous passer de Facebook. Les gens se vantent de ne pas avoir de profil. (…). Comment en sommes-nous arrivés à faire l’erreur de faire collectivement le deuil de la perte de ce qui prolifère ?”
“La raison est que nous avons appris à tort que
ne pas être en ligne signifie être déconnecté. Autrement dit,
la déconnexion avec nos téléphones et médias sociaux n’est pas
une déconnexion du tout. La logique des médias sociaux nous suit
longtemps après nous être déconnectés. (…)
Autrement dit, nous vivons dans une réalité
augmentée qui existe à l’intersection de la matérialité et de
l’information, de la physicalité et du numérique, du vivant et
de la technologie, des atomes et des bits, de l’offline et du
online. Il est faux de dire que IRL signifie hors ligne : Facebook
est le monde réel ! Les photos postées, les opinions exprimées,
les check-in qui remplissent nos flux d’information sont ancrés
dans ce qu’il se passe quand nous sommes déconnectés. Le web a
tout à voir avec la réalité. Il est composé de vraies personnes
et de vrais corps, leurs histoires, leurs opinons.”
“Ceux qui pleurent la perte de la déconnexion
sont aveugles à son importance online. Quand Sherry Turkle se
promenait à Cape Cod, elle respirait l’air, sentait la brise et
regardait les vagues avec Facebook en tête. L’appréciation de ce
moment de déconnexion était, en partie, un produit de la
connexion. (…) La distinction claire entre la connexion et la
déconnexion, entre l’humain et la technologie, est dévoyée
au-delà de ce qui est tenable. Ce n’est pas réel tant que ce
n’est pas sur Google ! Nous ne sommes pas amis tant que nous ne
sommes pas amis sur Facebook. Nous avons besoin de comprendre de
plus en plus nos vies via la logique de la connexion numérique. Les
médias sociaux sont plus que quelque chose auquel vous vous
connectez : c’est quelque chose que nous portons en nous. Nous ne
pouvons pas fermer la session.”
Matt Richtel (@mrichtel)
pour le New York Times signait lui aussi cet été un
article sur notre dépendance technologique, en montrant combien
cette préoccupation était prise au sérieux par bien des
entrepreneurs de la Silicon Valley, qui ont recours à des coachs
pour se faire aider à déconnecter…
C’est
Alexis Madrigal de The
Atlantic
qui répond (@alexismadrigal)
: “ Ce type d’articles devrait aussi admettre que notre
toxicomanie aux gadgets nécessite de reconnaître le rôle de la
“grande accélération” (the Great Speedup) du travail
qui attache les gens à leurs appareils.” Et de faire référence
à un
article de Mother
Jones signé Monika Bauerlein et Clara Jeffery qui évoque
la grande accélération de la productivité qui conduit chacun
d’entre nous à travailler toujours plus.
Si nous passons autant d’heures devant nos
écrans, rappelle Madrigal, c’est peut-être parce que nous ne
voyons pas le point clé de notre relation aux technologies
modernes. La classe moyenne supérieure travaille plus d’heures et
reste plus connectée à son travail qu’elle ne l’a jamais été.
“Il s’agit d’un problème avec la façon dont nous abordons
le travail, et non pas un problème lié à nos appareils.”
Nos appareils nous ont juste permis de faire travailler les salariés
24h sur 24, 7j. sur 7. “Lorsque Richtel accuse nos gadgets, il
canalise l’anxiété et la colère que les gens ressentent quant à
leur travail” et qui s’expriment à l’encontre de nos
objets technologiques. “Une grande partie de notre connexion
compulsive (dans la mesure où elle existe) est un symptôme d’un
problème plus important, pas le problème lui-même.”
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