lundi 7 janvier 2013

déconnexion : pourquoi "nous ne serons plus jamais déconnectés"...


Nous ne serons plus jamais déconnectés…

Par Hubert Guillaud le 04/09/12

Jenna Wortham (@jennydeluxe) pour le New York Times a commis un de ces papiers faciles sur les vertus de la déconnexion à l’heure d’un monde toujours plus connecté. Alors qu’elle se rendait à la piscine, elle a été invitée à déposer son téléphone et a pu profiter pleinement de sa journée, sans avoir à consulter avec anxiété ses comptes Facebook et Twitter pour regarder ce que ses amis faisaient. La peur de manquer quelque chose (Fomo, pour Fear of Missing Out) que décrivait Caterina Fake, cofondatrice de Flickr, s’évaporait quelques instants. Notre connexion permanente aux médias sociaux nous rend plus attentifs à ce que l’on rate et vous donne le faux sentiment de participer à ce que font les autres par leur intermédiaire, estime Caterina. Mais ce n’est pas une peur, c’est un plaisir, lui répondait l’entrepreneur Anil Dash en évoquant la joie de manquer quelque chose (Jomo pour Joy of Missing Out). 

Si beaucoup de gens se retrouvent dans le besoin d’être déconnecté de leurs appareils pour mieux se concentrer sur l’instant présent, nombre d’entre eux décrivent aussi la difficulté qu’ils éprouvent à résister à l’appel des médias sociaux, explique encore Jenna Wortham. Pas tous. Nathan Jurgenson (@nathanjurgenson), étudiant en sociologie à l’université du Maryland dénonce sur The New Inquiry le fétichisme IRL

“L’infiltration en profondeur de l’information numérique dans nos vies a créé une ferveur autour de la supposée perte de déconnexion correspondante de la vie réelle. Chaque moment est sursaturé de potentiel numérique (…). Les pensées, les idées, les lieux, les photos, les identités, les amitiés, les souvenirs, la politique et quasiment tout le reste ont trouvé son chemin vers les médias sociaux. La puissance du social ne repose pas seulement sur le temps que nous passons sur nos applications, ni sur les données que les médias à but lucratif collectent, mais sur la logique que ces sites creusent profondément dans nos consciences. Les téléphones et les médias sociaux symbiotiques nous donnent un surplus d’options pour dire la vérité sur ce que nous sommes et ce que nous faisons et une audience pour tout cela (…). Twitter est nos lèvres et Instagram nos yeux. Les médias sociaux font partie de nous-mêmes et le code source de Facebook devient notre propre code.”

“Comme on pouvait s’y attendre, cette intrusion a créé un choc en retour. Les critiques se plaignent que les gens, notamment les plus jeunes, sont sans cesse en train de se connecter et de se consulter. (…) Au lieu d’être présents à la table du dîner, ils sont perdus dans leurs téléphones. Auteurs après auteurs, tous se lamentent de la perte du sentiment de déconnexion, de l’ennui, de la paix sensorielle à l’âge de la connexion permanente à l’information, des écrans lumineux omniprésents et de l’autodocumentation quasi constante.”
Pour Nathan Jurgenson, nous sommes devenus obsédés par la déconnexion. “Nous n’avons jamais apprécié une promenade solitaire, un voyage en camping, une conversation en face à face avec nos amis ou notre ennui mieux que nous ne le faisons maintenant. Rien n’a plus contribué a notre appréciation collective de la déconnexion que les technologies de la connexion. La facilité de la distraction numérique nous a fait apprécier la solitude avec une nouvelle intensité. Nous savourons beaucoup plus le face à face avec un groupe d’amis ou en famille dans un moment et un temps donné grâce à la sociabilité numérique qui réarrangent d’une manière si fluide les règles du temps et de l’espace. Nous n’avons jamais autant chéri la solitude, la valeur de l’introspection et la déconnexion à l’information que nous ne le faisons maintenant. (…) L’obsession actuelle pour l’analogique, le vintage, le rétro a tout a voir avec cette fétichisation de la déconnexion.”

“Notre immense autosatisfaction pour la déconnexion est nouvelle. Comme nous sommes fiers de nous-mêmes de lutter contre l’étendue qu’ont pris les technologies mobiles et sociales. Notre nouvel hobby est de nous taper dans le dos pour montrer que nous pouvons nous passer de Facebook. Les gens se vantent de ne pas avoir de profil. (…). Comment en sommes-nous arrivés à faire l’erreur de faire collectivement le deuil de la perte de ce qui prolifère ?”

“La raison est que nous avons appris à tort que ne pas être en ligne signifie être déconnecté. Autrement dit, la déconnexion avec nos téléphones et médias sociaux n’est pas une déconnexion du tout. La logique des médias sociaux nous suit longtemps après nous être déconnectés. (…) 

Autrement dit, nous vivons dans une réalité augmentée qui existe à l’intersection de la matérialité et de l’information, de la physicalité et du numérique, du vivant et de la technologie, des atomes et des bits, de l’offline et du online. Il est faux de dire que IRL signifie hors ligne : Facebook est le monde réel ! Les photos postées, les opinions exprimées, les check-in qui remplissent nos flux d’information sont ancrés dans ce qu’il se passe quand nous sommes déconnectés. Le web a tout à voir avec la réalité. Il est composé de vraies personnes et de vrais corps, leurs histoires, leurs opinons.” 

“Ceux qui pleurent la perte de la déconnexion sont aveugles à son importance online. Quand Sherry Turkle se promenait à Cape Cod, elle respirait l’air, sentait la brise et regardait les vagues avec Facebook en tête. L’appréciation de ce moment de déconnexion était, en partie, un produit de la connexion. (…) La distinction claire entre la connexion et la déconnexion, entre l’humain et la technologie, est dévoyée au-delà de ce qui est tenable. Ce n’est pas réel tant que ce n’est pas sur Google ! Nous ne sommes pas amis tant que nous ne sommes pas amis sur Facebook. Nous avons besoin de comprendre de plus en plus nos vies via la logique de la connexion numérique. Les médias sociaux sont plus que quelque chose auquel vous vous connectez : c’est quelque chose que nous portons en nous. Nous ne pouvons pas fermer la session.”
Matt Richtel (@mrichtel) pour le New York Times signait lui aussi cet été un article sur notre dépendance technologique, en montrant combien cette préoccupation était prise au sérieux par bien des entrepreneurs de la Silicon Valley, qui ont recours à des coachs pour se faire aider à déconnecter… 

C’est Alexis Madrigal de The Atlantic qui répond (@alexismadrigal) : “ Ce type d’articles devrait aussi admettre que notre toxicomanie aux gadgets nécessite de reconnaître le rôle de la “grande accélération” (the Great Speedup) du travail qui attache les gens à leurs appareils.” Et de faire référence à un article de Mother Jones signé Monika Bauerlein et Clara Jeffery qui évoque la grande accélération de la productivité qui conduit chacun d’entre nous à travailler toujours plus. 

Si nous passons autant d’heures devant nos écrans, rappelle Madrigal, c’est peut-être parce que nous ne voyons pas le point clé de notre relation aux technologies modernes. La classe moyenne supérieure travaille plus d’heures et reste plus connectée à son travail qu’elle ne l’a jamais été. “Il s’agit d’un problème avec la façon dont nous abordons le travail, et non pas un problème lié à nos appareils.” Nos appareils nous ont juste permis de faire travailler les salariés 24h sur 24, 7j. sur 7. “Lorsque Richtel accuse nos gadgets, il canalise l’anxiété et la colère que les gens ressentent quant à leur travail” et qui s’expriment à l’encontre de nos objets technologiques. “Une grande partie de notre connexion compulsive (dans la mesure où elle existe) est un symptôme d’un problème plus important, pas le problème lui-même.”



déconnexion : l'école du cynisme ?

Pas d'ordi à l'école pour les enfants des cadres de Google ou d'eBay

28.02.2012, Quentin Duverger

Le directeur technique d'eBay partage un point com­mun avec plusieurs cadres supérieurs de socié­tés de pointe de la Silicon Valley comme Google, Apple, Yahoo et Hewlett-Packard : ils envoient leurs enfants dans une école... sans ordinateurs.

La Waldorf School of the Peninsula est l'une des 160 écoles Waldorf des Etats-Unis, dont 40 en Californie, pour­tant un bas­tion des nou­velles tech­no­lo­gies. La péda­go­gie de cet établis­se­ment repose avant tout sur l'éducation phy­sique et le tra­vail manuel. Il n'y a pas d'écran en classe : seule­ment du papier, des sty­los, des aiguilles à tri­co­ter, par­fois de la terre glaise. De bons vieux tableaux noirs, des pupitres en bois et des ency­clo­pé­dies sur des étagères contri­buent à l'ambiance rétro.
Les par­ti­sans de la péda­go­gie Waldorf estiment que les ordi­na­teurs inhibent la créa­ti­vité, le mou­ve­ment, les inter­ac­tions sociales et la capa­cité d'attention. Les trois quarts des parents d'élèves tra­vaillent dans des firmes high-tech et sont sur­con­nec­tés, mais ils n'y voient pas de contra­dic­tion avec ce choix d'éducation pour leurs enfants.

Alan Eagle, ingé­nieur chez Google et dont les deux enfants vont à l'école Waldorf, estime qu'il y a un temps pour tout, y com­pris pour la tech­no­lo­gie. Pourquoi se pres­ser ? Apprendre à se ser­vir d'un ordi­na­teur, « c'est super-facile, affirme-t-il. C'est comme apprendre à se ser­vir du den­ti­frice. A Google et dans toutes ces boîtes, nous ren­dons la tech­no­lo­gie aussi facile à uti­li­ser qu'il nous est pos­sible. Il n'y a pas de rai­son que les enfants n'y arrivent pas quand ils seront plus âgés. »
Cette éduca­tion « décon­nec­tée », à l'ancienne, n'est pour­tant pas don­née. Il faut en effet comp­ter 17.750 dol­lars (13.200 euros) par an de la mater­nelle au col­lège, et 24.400 dol­lars (18.150 euros) par année de lycée. Thierry Klein, pré­sident de Speechi (société qui déve­loppe des logi­ciels de for­ma­tion en ligne), ana­lyse sur son blog les rai­sons qui poussent ces parents high-tech à dépen­ser une petite for­tune pour pri­ver leurs enfants des gad­gets modernes :

« Il y a bien sûr la convic­tion, étayée main­te­nant par de nom­breuses études, que la tech­no­lo­gie n'améliore pas, ou pas beau­coup, le niveau des élèves. Mais le fac­teur clé [...] est la convic­tion qu'ont les parents que [la tech­no­lo­gie] diver­tit les élèves, les détourne du savoir. Celui qui va sur Internet [...] a toutes les chances de se retrou­ver à faire autre chose que de la recherche (lire la bourse, les résul­tats spor­tifs, chat­ter sur MSN...). Les concep­teurs des machines que sont Google, l'iPad ou encore eBay sont parfaitement conscients du phénomène d'addiction qu'ils créent et veulent en préserver leurs enfants. C'est d'un cynisme génial. »


déconnexion : "je me débranche"

Thierry Crouzet
Auteur expert de rien

31 mars 2011 / 66 commentaires 
 
C’est le dernier billet que je publie pour les neuf mois qui arrivent. Je me débranche après propulsion. Mon expérience de déconnexion commence maintenant. Vous me retrouverez en terrasse de café ou vous attendrez janvier 2012 et la publication chez Fayard du récit de cette aventure.

Qu’est-ce que cela implique ?

Je coupe les commentaires sur le blog, pour ne pas crouler sous les spams et ne pas laisser les trolls se gaver allègrement.
Je laisse active la détection des retweets.

Je mets mon mail sur répondeur. Si vous m’écrivez, vous recevrez un message vous expliquant comment me contacter de manière ancestrale.

Je bloque la connexion Internet sur mes ordinateurs et mon téléphone, mais elle restera à la portée de la main. Je serai comme un alcoolique qui à tout moment peut replonger.

Pour m’informer, je ne disposerai plus que du bouche-à-oreille et des vieux médias. N’hésitez pas à m’écrire ou à me téléphoner pour me donner des nouvelles du vrai monde.

Si vous vous ennuyez de moi, vous avez de quoi vous occuper pendant les mois qui arrivent. J’ai créé un ePub qui rassemble l’intégralité de mon blog. L’équivalent d’un gros tome de la Pléiade. J’ai publié en prime l’ébauche de ma brève histoire de l’informatique. Je modifie le look du blog pour mettre en avant mes livres et non pas les derniers billets.
J’ai installé un serveur ThinkUp pour suivre a posteriori les conversations à mon sujet sur les réseaux sociaux. En toute probabilité il ne se passera rien, mais je n’arrive à débrancher franco. À partir d’un Search Twitter, j’ai créé un Yahoo Pipe que j’ai donné à manger à mon Google Reader en vue d’archivage. Ce fil RSS sera republié sur mon compte Facebook en automatique par twitterfeed.com. Je serai présent sur le Net sans y être. Mon identité numérique dépassera mon identité physique. Je vais devenir un fantôme.

J’ai aussi configuré spotd.me pour qu’il retwitte automatiquement les messages qui me seront adressés sur Twitter. Vous pourrez ainsi parler à mes 7 000 followers. Je mets en quelque sorte mon compte à votre disposition. Ne le spammez pas.
Maintenant, je m’en vais vite m’installer au soleil sur la terrasse. J’ai des amis qui viennent fêter la déconnexion. Je vais essayer de ne pas trop penser à la bêtise que je suis en train de faire. 
 
Vous aurez peut-être une chance de me croiser dans les mois qui arrivent à Tunis, à Genève, dans les Pyrénées, le Lot-et-Garonne ou en Bretagne, et qui sait à Paris. Et partout où on me proposera de venir. Je ne renie pas la connexion. Je vais la transposer du Net au physique, et ne comptez pas sur moi pour dire que je regagne la réalité, la réalité est tout autant sur le Net qu’en dehors. C’est ce paradoxe que je veux creuser.

déconnexion : à la recherche du temps perdu ?


Martin Vidberg